«Pour oser une telle rénovation, il faut de l’expérience, et nous en avons car nous avons déjà agi ailleurs»

L’histoire de l’Astoria ressemble un peu à un conte de fées dans un pays économiquement dévasté. Le prestigieux hôtel a ouvert ses portes en 1910, en tant que résidence d’avant-garde pour l’Exposition universelle de Bruxelles la même année. C’était la Belle Epoque. L’Astoria a survécu à deux guerres mondiales et offert l’hospitalité à d’innombrables têtes (non) couronnées et stars mondiales au fil des ans. Et puis le rideau est tombé, il y a 17 ans.

Le site, de plus en plus endommagé, avait été racheté par Global Hotels & Resorts sous la direction d’un cheikh d’Arabie saoudite, mais rien ne s’est finalement produit. En 2016, Corinthia Group le rachète et le miracle a lieu : le faste et la splendeur sont de retour depuis le 9 décembre 2024. Le nouvel hôtel de luxe de la rue Royale propose 126 chambres dont 31 suites classiques et 5 suites signature, ainsi qu’un large éventail de prestations. Nous avons eu un entretien avec Sophie Clarke, qui a la lourde tâche d’attirer les clients. 

HB: Le projet hôtelier Astoria pourrait convaincre les critiques les plus sévères. Il y a un coût pour Corinthia. Les estimations pour la reconstruction et la rénovation du bâtiment circulent et des montants variables sont avancés, certains parlent de 150 millions d’euros. Qu’en est-il exactement ? Et comment rentabiliser un tel investissement à terme ? En quelle année le seuil de rentabilité sera-t-il atteint ?
Sophie Clarke (SC): « Vous mentionnez un chiffre intéressant mais nous n’avons jamais communiqué à ce sujet. Les travaux ne sont pas terminés car nous sommes en train de finaliser les penthouses. L’investissement est en effet conséquent. Mais Corinthia est connu pour être un groupe qui a de l’expérience dans la rénovation de bâtiments historiques. Le succès du Corinthia London (rouvert en 2011) est particulièrement révélateur. À cet égard, le bâtiment historique de Bruxelles n’est pas très différent de celui de Londres. Quand Corinthia a repris le flambeau de l’ancien propriétaire, nous savions très bien ce qu’il fallait accomplir, en collaboration avec les organismes officiels chargés du patrimoine et de l’héritage architectural.
Nous avons tout de suite compris l’ampleur des travaux. Deux années ont été consacrées à la restauration de la verrière, que nous avons confiée à une entreprise spécialisée. Il faut avoir de l’expérience pour réaliser ce travail, et c’est ce que nous avons car nous avons adopté une approche similaire au Corinthia de Bucarest, qui ouvrira bientôt ses portes. Le Corinthia Rome, qui abritait auparavant la Banque centrale italienne, est un autre bon exemple. Corinthia fait souvent le choix de tels projets.
En termes de rentabilité, il est évident qu’une planification minutieuse et approfondie précède le projet et que, lorsqu’il sera clôturé, nous saurons exactement ce que nous aurons dépensé et nous pourrons établir le seuil de rentabilité. »

Skylight

HB: Le puits de lumière dont il est question est splendide à tous points de vue. Avec notre climat typiquement belge et son lot de grêlons, n’y-a-t-il pas certains risques ?
SC: « L’architecte a tenu compte de cela. Il a beaucoup travaillé pour renforcer la verrière de l’intérieur et à l’extérieur, créant une sorte de double cadre tout autour. C’est devenu un chef d’œuvre en soi. Même avec le climat belge, la lumière parvient à s’infiltrer et à illuminer le Palm Court. »

HB: Le siège de Corinthia à Malte intervient-il dans le management de Bruxelles ?
SC: « Corinthia Group a des bureaux à Londres et à Malte. Je pense qu’il s’agit d’un moment-clé pour notre nouveau CEO, Simon Casson (ex-Four Seasons), qui souhaite faire de notre groupe un acteur de premier plan sur le marché de l’hospitalité de luxe. Il va de soi que le siège est impliqué dans les lieux où nous souhaitons implanter nos grands hôtels, comme Bruxelles, mais les expériences locales sont très appréciées. Certaines normes appliquées dans nos hôtels font partie du charme d’un plus petit groupe comme Corinthia. Globalement, il y a un bel équilibre qui laisse de la place au choix. »

HB: Depuis quelques temps, le développement durable est tendance dans la (re)construction. Dans le cas présent, la mission fut assurément spéciale.
SC: « La durabilité n’est pas seulement tendance, c’est plus que nécessaire. Il faut suivre les directives et les réglementations, il n’est plus possible de ne pas le faire. L’architecte Francis Metzger s’est renseigné sur la façade avant et le rez-de-chaussée qui étaient classés, pas le reste. Il a planifié des travaux de restauration partout où c’était nécessaire. L’une des opérations a par exemple consisté à déplacer légèrement vers l’avant le miroir central de la dining room pour faire de la place à la ventilation.
Dans le reste du bâtiment non classé, à commencer par les chambres, nous avons intégré les technologies utiles avec la perspective de rester pertinents pour les 100 prochaines années. 
La durabilité s’applique également aux espaces communs, comme le choix des chefs dans nos restaurants et bars. Au bar, nous proposons des boissons de producteurs locaux, tandis que la brasserie Le Petit bon bon du chef Christophe Hardiquest soutient pleinement les vins (mousseux) et les bières belges. La viande, le poisson et les crustacés sont achetés le plus localement possible. »

Pas réservé aux ‘rich and famous”

HB: On dit qu’un chanteur très célèbre a loué la totalité des 5e et 6e étages pour l’été prochain. Peu importe son nom, notre question est de savoir si le Corinthia Astoria Brussels est un hôtel réservé aux ‘rich and famous’. Si pas, quel type de public attirez-vous ?
SC: « Il s’agit d’un chanteur américain mais d’autres acteurs, chanteurs et invités premium sont également intéressés et privatisent souvent une suite ou un demi-étage. Nous avons bien naturellement ce type de clientèle car nous sommes un hôtel 5* superior. Nous proposons des suites allant jusqu’à 330 m² avec terrasses et dont le prix à la nuitée est de 20.000 €.
Un produit pour les riches et les célèbres ? Oui, mais pas seulement, nous considérons cela comme un pied à terre, c’est bien plus qu’un hôtel avec des chambres et des suites car nous avons plusieurs types de publics aux objectifs divers. Ce n’est pas parce que Le Petit bon bon est situé sous notre toit que les prix vont grimper en flèche. Nous voulons qu’il soit reconnu comme une brasserie typiquement belge, à l’instar d’autres brasseries dans la ville.
Il en va de même pour le restaurant gastronomique Palais Royal, dirigé par le chef doublement étoilé David Martin: un nouveau venu sur le marché bruxellois, qui n’a pas encore obtenu d’étoile, ce qui se traduit par une valeur sûre et des prix raisonnables. Il y a aussi le bar Under the Stairs, qui attire un autre public, et notre boutique Coutume qui propose des marques de luxe pas encore présentes sur le marché belge. Nous voulons aussi être une fenêtre de découverte pour les locaux.
Si les chambres et les suites atteignent un certain niveau de prix, le reste de l’hôtel veut encourager la clientèle à franchir le pas. Nous ne sommes pas le genre d’hôtel de luxe qui rend les gens nerveux lorsqu’ils arrivent à notre porte. Au cours des premiers mois qui ont suivi l’ouverture, nous avons accueilli de nombreux locaux, notamment au Palm Court où le chariot à desserts attire la clientèle qui peut déguster du champagne, du café ou du thé. Un lieu animé et bourdonnant, tout le monde est le bienvenu ! En termes d’ancrage local, il y a la relance des Astoria Concerts le dimanche, comme jadis, avec des prestations de lauréats de concours musicaux renommés. Nous offrons notamment des entrées gratuites aux étudiants du conservatoire. Il y a également le  Spa, organisé en collaboration avec Sisley et ouvert aux clients externes depuis février. »

Tous les chemins mènent à Bruxelles
Originaire de Warrington (comté de Cheshire) au nord de l’Angleterre, Sophie Clarke a étudié les langues à la prestigieuse université de St-Andrews en Ecosse. À l’époque, Starwood Hotels & Resorts International recrutait pour la première fois dans les universités, hors des écoles hôtelières traditionnelles, dont celle de Sophie Clarke.
Il lui a semblé naturel de commencer sa carrière hôtelière dans les hôtels Starwood, d’abord à Venise, puis Paris et Bruxelles où elle rejoint le programme de management de Starwood.
De là, elle déménage à Rome et travaille pendant 4 ans pour The Luxury Collection (Starwood – aujourd’hui Marriott International, le siège régional) avant de revenir dans notre capitale où elle devient Head of Consumer PR and Social Media au siège mondial de Radisson Hotel Group. Début 2024, Sophie Clarke rejoint Corinthia Group où elle assume le poste de Director Sales & Marketing lors de la période de préouverture du Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels. Depuis l’ouverture de l’hôtel, elle est restée fidèle à son poste.
Par Daniel Steevens – Photos Corinthia Grand Hotel Astoria Brussels