Dans le secteur de l’hospitalité, la distribution est le cœur battant de la stratégie commerciale. La manière dont un hôtel ou un autre établissement d’hébergement parvient à proposer son offre aux bons clients détermine en grande partie son succès. Le paysage de la distribution dans le secteur de l’hospitalité est vaste et s’étend du propre site web et des OTA à la métarecherche, au GDS, aux grossistes et aux réseaux sociaux. Chaque canal a ses coûts, ses groupes-cibles et son impact.
Partie 3 – OTA et hôtels: un éléphant dans une chambre d’hôtel
À propos d’une relation ambivalente et d’un rapport de force asymétrique
L’’éléphant dans une chambre d’hôtel’ : les agences de voyage en ligne (OTA) occupent une place prépondérante sur le marché de la distribution hôtelière, et le secteur les perçoit avec des sentiments mitigés.
Un rapport récent intitulé ‘The State of Distribution 2025’ publié par HEDNA, RATEGAIN et NYU|New York University of Professional Studies, et s’appuyant sur un échantillon représentatif de 21.000 hôtels dans 310 villes, révèle que, sur la période couverte par l’enquête – de décembre 2023 à novembre 2024 – les hôteliers ont indiqué que les volumes des différents canaux de réservation étaient répartis de manière presque égale entre cinq grands canaux:
Nous pouvons en conclure que les réservations directes via le marketing numérique sont aujourd’hui comparables à celles des OTA, grâce notamment aux mises à jour des sites web de marques, la connectivité améliorée des métamoteurs de recherche et les programmes de fidélité. Les réservations GDS se maintiennent, ce qui souligne la résilience des voyages d’affaires, peut-être stimulée par les voyages ‘bleisure’, l’utilisation de tarifs contractuels et l’allongement de la durée des séjours.
L’étude ‘European Hotel Distribution Study 2024’ du Prof. Schegg (University of Applied Sciences of Western Switzerland Valais) et HOTREC, indique que les OTA ont gagné des parts sur le marché hôtelier européen. L’étude propose un aperçu du marché européen, bien que le nombre de répondants de certains pays pèse relativement lourd dans le nombre total d’hôtels. Les données montrent que la part de marché moyenne des OTA dans le secteur hôtelier européen a augmenté de 10 points de pourcentage entre 2013 et 2023, passant de 19,7 % en 2013 à 29,6 % en 2023. Elle reflète l’importance croissante des OTA au cours de cette période.

Répartition et relation tendue
Trois acteurs dominent le marché des OTA: Booking Holdings, Expedia Group et HRS qui représentent ensemble 90% des parts de marché de ce canal de distribution. Selon les chiffres de 2023, nous pouvons constater que Booking Holdings est le plus important avec 71%. Expedia a diminué pendant la pandémie, passant de 16,3% (2019) à 12,5% (2021), mais a remonté à 14,4% en 2023, en partie grâce à l’afflux de touristes américains en Europe. HRS a chuté de 16,6% (2013) à 4,6% (2023).
Cependant, une grande partie des hôteliers se sentent mal à l’aise dans leur relation avec les OTA. Malgré le volume considérable généré par les OTA, le mécontentement s’est intensifié au fil des ans. Les hôteliers ont développé leurs établissements, élaboré un concept, les gèrent 24h/7j et assurent le service avec leurs équipes. Alors pourquoi céder 5 à 8% du chiffres d’affaires total sous forme de commissions aux OTA ?
Soyons honnêtes: le secteur hôtelier a toujours été réticent à l’égard de l’innovation technologique. Très souvent, ce sont des tiers qui ont joué un rôle de premier plan. Le Revenue Management, par exemple, était déjà appliqué avec succès dans le secteur aérien depuis un certain temps avant que le secteur hôtelier ne l’adopte et ne le mette en œuvre. Dans le domaine de la réservation en ligne, les OTA ont pris l’initiative, reléguant les hôtels à un rôle réactif dans un premier temps, sans contrôle du processus.
Alexandros Vassilikos (président de HOTREC) a déclaré: « La réponse massive des hôtels européens à notre appel à rejoindre le recours collectif prouve que le secteur de l’hôtellerie est uni et exige que le régulateur dominant modifie son comportement sur le marché et assume la responsabilité de ses pratiques abusives. »
De rAu fil des ans, la relation entre les hôtels et les OTA est devenue une relation commerciale compliquée (ou une relation ‘amour/haine’ ?), les OTA optimisant continuellement leurs modèles économiques pour une efficacité maximale.
Dans l’étude HOTREC, mentionnée précédemment, les hôteliers se plaignent du pouvoir de marché (disproportionné) et des pratiques des OTA:
- La position quasi monopolistique des OTA, avec des frais de commission élevés et la manière dont elles distribuent les cartes dans le monde des réservations hôtelières en ligne.
 - Environ 43% des hôteliers déclarent que les OTA pratiquent des prix inférieurs en renonçant à une partie de la commission, rendant la concurrence directe difficile pour les hôtels. Dans 75% des cas où les hôtels ont été confrontés à des formes de ‘sous-cotation’, cela s’est produit sans consentement explicite.
 - La loyauté et la transparence des pratiques des OTA suscitent des inquiétudes : les hôtels signalent que les OTA remettent parfois leurs chambres en vente sur d’autres plateformes (reselling), que les conditions ne sont pas claires et que les prix ou les promotions sont trompeurs.
 
Comme indiqué plus haut, Booking Holdings détient en Europe 71% de parts de marché dans le segment des OTA. Cette part est la plus marquée dans les hôtels saisonniers ((80%), les petits établissements (<50 chambres, >72%), et les hôtels indépendants (>70%). Pour les hôtels 1-3 étoiles, la part est largement supérieure à 70%, mais tombe à 66% pour les hôtels 4 étoiles et à 59% pour les hôtels 5 étoiles. Dans les villes de moins de 10.000 habitants, la part atteint 74%, mais tombe à 62% dans les grandes villes (>250.000 habitants). Les chaînes hôtelières affichent environ dix points de pourcentage de part de marché de moins que les hôtels indépendants.

Recours collectif contre Booking.com
Malgré le volume considérable de réservations générées par les OTA, le mécontentement des hôteliers a augmenté ces dernières années. Cette frustration croissante a conduit à une mobilisation :  HOTREC, et diverses fédérations hôtelières nationales et régionales, a appelé les hôteliers de toute l’Europe à se joindre à un recours collectif contre Booking.com. Le point central de l’action en justice est la légalité des clauses de parité imposées aux hôtels par les OPA.
La réponse à cet appel est significative : plus de 15.000 hôtels se sont inscrits sur www.mybookingclaim.com pour participer à l’action collective. La date limite était fixée au 29 août 2025.
Contexte juridique
Le cœur du litige porte sur les dommages que les hôtels affirment avoir subis en raison de l’imposition de clauses de parité. Le procès, intenté devant le tribunal néerlandais au nom de la Stichting Hotel Claims Alliance, fait valoir que les clauses sont contraires à la réglementation européenne et devraient être invalidées. Les hôtels concernés réclament une indemnisation pour les dommages financiers qu’ils estiment avoir subi du fait de ces accords.
Le 19 septembre 2024, la Cour de Justice européenne avait estimé dans l’affaire C‑264/23 que de telles clauses (tant ‘wide’ que ‘narrow’) sont, dans certains cas, contraires au droit européen de la concurrence.
-En cas de parité ‘narrow’, l’hôtel ne peut proposer sur son site web un prix inférieur ou des conditions plus avantageuses que ceux affichés sur la plateforme. En revanche, il peut proposer des offres plus avantageuses via d’autres plateformes ou hors ligne. La parité ne s’applique qu’à son site web.
– En cas de parité ‘wide’, le fournisseur ne peut proposer nulle part un prix inférieur ou des conditions plus avantageuses que ceux de la plateforme, donc pas non plus sur son site web ou d’autres plateformes. La parité s’applique à l’ensemble des canaux de vente.
L’action collective vise à permettre aux hôtels participants de récupérer une partie des commissions ou des dommages subis pendant la période où ces clauses étaient en vigueur.
Dans un communiqué, Booking.com a qualifié les déclarations de HOTREC et d’autres fédérations hôtelières d’inexactes et trompeuses (The Guardian, 7 août 2025). D’après l’article, Booking.com précise que la Cour de justice européenne (ECJ), dans son arrêt, n’a pas établi que les clauses ‘best price’ de Booking.com étaient anticoncurrentielles dans tous les cas, mais « qu’il est simplement établi que de telles clauses relèvent du champ d’application du droit de la concurrence de l’UE et que leurs effets doivent être évalués au cas par cas. »
L’entreprise a fait référence à la même déclaration concernant son « engagement en faveur d’une concurrence loyale », ajoutant que « les anciennes clauses de parité visaient à encourager une tarification concurrentielle plutôt que de la restreindre ». Elle a fait référence à un sondage selon lequel 74 % des hôteliers ont déclaré que Booking.com a contribué à améliorer la rentabilité de leur établissement, nombre d’entre eux faisant état d’une augmentation du taux d’occupation et d’une baisse des coûts liés au recrutement de clients.
Des voix critiques s’élèvent, notamment celle de Max Starkov (l’influenceur américain de renommée mondiale, souvent cité dans le Top 50 du secteur de l’hospitalité): « Ce procès revient à poursuivre un restaurant où vous avez très bien mangé, simplement parce qu’il pratique des prix élevés. Au lieu de développer leurs propre canaux de distribution directe, les hôteliers européens ont choisi pendant des décennies de se faciliter la tâche en passant par des OTA. »
Une tension permanente: la relation entre les hôtels et les OTA
Dans cette relation ambivalente, une chose est claire : le champ de forces complexe entre les hôtels et les OTA ne va pas disparaître de sitôt. La dépendance, d’un côté, et le sentiment de pression, de l’autre, font que les deux parties ont besoin l’un de l’autre, mais s’opposent aussi régulièrement. Si les hôtels profitent de la portée et de l’efficacité de plateformes comme Booking.com, ils subissent en même temps les contraintes liées aux commissions et aux clauses de parité. L’asymétrie de pouvoir qui en découle rend le terrain de jeu particulièrement difficile.
La lutte pour conquérir le client au sein des divers canaux de distribution est récurrente. Les nouvelles réglementations, les décisions judiciaires et l’évolution des conditions du marché vont sans aucun doute continuer à influencer le rapport de force, et la solution définitive ne semble pas en vue. D’une certaine manière, la concurrence dans le paysage de la distribution en ligne est une ‘histoire sans fin’, les hôtels et les OTA devant sans cesse redéfinir leur position. L’intelligence artificielle pourrait-elle changer la donne ? Nous y reviendrons dans l’une de nos prochaines publications consacrées à la distribution hôtelière.
Par Alexander Dupont
Alexandros Vassilikos (président de HOTREC) a déclaré: « La réponse massive des hôtels européens à notre appel à rejoindre le recours collectif prouve que le secteur de l’hôtellerie est uni et exige que le régulateur dominant modifie son comportement sur le marché et assume la responsabilité de ses pratiques abusives. »