Utopian mise sur l’expérience de voyage contemporaine

Dans le secteur de l’hôtellerie, qui va par définition de pair avec la globalisation, il est toujours rafraîchissant de voir surgir à l’avant-plan quelqu’un du cru. Quelqu’un comme Paul Cordier (né en 1974 à Ostende et domicilié à Keerbergen), par exemple. En septembre de l’année dernière, Paul a lancé l’Utopian Hotel Collection avec Ronald Homsy, son associé basé à Londres. Le jour de sa présentation, cette collection rassemblait 28 hôtels indépendants mais ce nombre a entre-temps augmenté considérablement, et le mouvement n’est pas près de s’arrêter. Nous nous sommes entretenus avec Paul Cordier dans le décor de l’hôtel Van Cleef à Bruges, qui est pour l’heure l’unique maillon belge de la chaîne Utopian (lire par ailleurs). 

Hotel Business (HB): D’autres hôtels belges sont-ils sur le point de vous rejoindre? 
Paul Cordier (PC): “Nous menons des discussions avec un certain nombre d’hôtels situés au Benelux. Il est encore trop tôt pour citer des noms mais il est logique que des villes comme Anvers, Bruxelles, Am-sterdam et Luxembourg soient dans notre collimateur. Sans oublier les Ardennes, qui proposent une belle concentration d’hôtels attrayants. Il importe toutefois que les hôtels qui nous rejoignent soient de véritables hôtels Utopian. Nous préférons ne pas avoir d’hôtel Utopian dans telle ou telle ville que d’en avoir un qui n’adhère pas totalement à notre philosophie. Il est très important pour nous que nos hôtels incarnent les valeurs d’Utopian : posséder une histoire et offrir une expérience digne de ce nom, avec également une notion d’aventure, etc. (voir www.utopianhotels.com/about). Cela doit bien entendu aller dans les deux sens et il faut que l’hôtel soit lui-même convaincu du contexte dans lequel Utopian est né et croie en notre philosophie.” 

HB: Dans une interview parue récemment dans Globetrender, Ronald Homsy affirme que 125 hôtels feront partie de la Collection d’ici à la fin de l’année et que ce nombre passera à 225 en 2020 et à 340 en 2022. Comment comptez-vous vous y prendre pour recruter tous ces nouveaux membres?
PC: “En procédant étape par étape. Nous avons quelqu’un qui travaille à cela à temps plein, sans compter que mon associé Ronald et moi-même avons constamment dans un coin de notre tête cet objectif d’étoffer notre réseau. Partout où nous allons, tous nos sens sont en éveil afin de dénicher les hôtels susceptibles de nous rejoindre. S’ouvre ensuite la phase de discussions, qui vise à évaluer si les hôtels que nous avons repérés incarnent bel et bien nos valeurs. Le Van Cleef a été l’un des premiers hôtels à croire en notre projet et il est très agréable de travailler avec des hôtels qui sont sur la même longueur d’ondes que vous. Ensemble, nous pouvons réaliser de grandes choses.”

HB: Le recrutement s’opère-t-il également dans l’autre sens ? Arrive-t-il que des hôtels indépendants vous contactent afin de devenir membres d’Utopian?
PC: “Oui, cela arrive, car les hôtels sont de plus en plus nombreux à avoir entendu parler de notre concept, à s’y intéresser et à sentir une connexion avec lui. Utopian joue sur la manière dont ces hôtels essaient de se positionner aujourd’hui sur le marché et cherchent à atteindre leur public-cible. Notre objectif prioritaire est d’attirer cette clientèle vers eux, mais également de les aider à conserver leur position en tête du marché grâce au label Utopian Ambassadors que nous avons créé. Il est à nos yeux extrêmement important, en effet, que les hôtels continuent d’évoluer au même rythme que le marché et que nous puissions grandir ensemble.” 

HB: En deux mots, quels sont les services qu’Utopian peut offrir à des gérants d’hôtel qui envisageraient de rejoindre votre réseau? 
PC: “En premier lieu, je citerai bien entendu la connectivité que nous offrons, puis la plateforme de distribution. Il faut ajouter le soutien en matière de ventes et de marketing, de positionnement commercial et de relations publiques, sans oublier un volet produits et services qui va de la gestion des revenus à l’évaluation mystère en passant par un service de recommandations aux voyageurs pour les clients qui réservent chez nous.” 

HB: HB : Vous avez développé un logo très discret. Pourquoi ? 
PC: “C’est vrai et cela s’explique par le fait que nous formons une collection d’hôtels indépendants, dont chacun a sa propre histoire et sa propre authenticité, et que c’est précisément cela que nous souhaitons mettre en avant. Nos gérants d’hôtel sont des personnes très attachées à leur indépendance. Notre volonté est de conserver et d’accentuer l’identité des hôtels, pas de les affubler d’un label Utopian tape-à-l’œil.” 

Basculement complet

HB: Peut-on dire que vous transcendez les frontières classiques que l’on rencontre dans le secteur de l’hôtellerie, comme la distinction entre hôtel de loisirs et hôtel d’affaires? 
PC: “Il y a une vingtaine voire une dizaine d’années à peine, la ligne de démarcation entre hôtels de loisirs et hôtels d’affaires était nette. Aujourd’hui, elle est plus floue. Le touriste contemporain aspire à avoir des choses à raconter lorsqu’il rentrera chez lui mais la personne en déplacement pour son travail entend bien elle aussi découvrir quelques pans de la ville où elle séjourne et s’imprégner un minimum de la vie locale. Dans les années 50, nous avons assisté à l’émergence des grandes chaînes hôtelières, comme Hilton, Sheraton ou Marriott pour ne citer que ces exemples, mais la philosophie de voyage était alors complètement différente. Il y avait encore une notion de risque et d’insécurité, tout était encore beaucoup plus complexe qu’aujourd’hui. Par ailleurs, les gens avaient beaucoup moins l’habitude de voyager et étaient à la recherche, sur leur lieu de séjour, d’un endroit où ils pourraient dormir en toute sécurité et, si tel était leur souhait, manger comme à la maison. Aujourd’hui, les gens recherchent exactement l’inverse : ils aspirent à beaucoup plus de contacts avec la population autochtone, veulent goûter la cuisine locale et pouvoir se dire, en rentrant chez eux, qu’ils ont vécu une expérience réellement frappée du sceau de l’authenticité. L’approche a changé du tout au tout et Utopian s’inscrit sans aucune ambiguïté dans cette évolution.”

HB: Vous avez une autre définition du luxe que la définition classique? 
PC: “Exactement. Autrefois, la notion de luxe était liée au strass, aux paillettes, au glamour, aux gants blancs et à d’autres choses dans la même veine. De notre point de vue, le luxe se traduit avant tout par le service personnalisé que nous pouvons offrir à un client en sorte qu’il puisse profiter d’un séjour sur mesure. Offrir un tel service est beaucoup plus facile aujourd’hui qu’à l’époque, grâce aux technologies et aux données dont nous disposons désormais. Dans le même temps, nous remarquons que le client est devenu beaucoup plus exigeant. C’est dans cette qualité de service que réside le luxe aujourd’hui, selon nous. Il ne s’agit plus simplement d’offrir le confort d’un 5 étoiles, mais plutôt un service personnalisé, une expérience. Les hôtels avec lesquels nous travaillons nous aident à proposer au client l’expérience à laquelle il aspire, de même que l’histoire qu’il racontera en rentrant chez lui ou partagera sur les réseaux sociaux. C’est un état d’esprit que nous observons non seulement chez les millennials, mais également chez des quadragénaires ou quinquagénaires.” 

Un concept calqué sur les aspirations des jeunes voyageurs

HB: Quels sont à vos yeux les principaux concurrents d’Utopian ? Et où avez-vous trouvé le trou sur le marché? 
PC: “Nos concurrents, c’est tout le monde, ou presque ! Nous évoluons en effet dans un marché extrêmement concurrentiel, comme en témoigne le fait que même les grandes chaînes nées dans les années 50 essaient aujourd’hui de séduire les millennials. À cela s’ajoute la concurrence des groupes hôteliers indépendants traditionnels style The Leading Hotels of the World ou Small Luxury Hotels, qui s’évertuent eux aussi à attirer la clientèle la plus large possible. Citons également les OTA, qui sont bien entendu également très présentes sur le marché, ainsi que le concept Airbnb qui, à l’origine, misait énormément sur ces hôtes locaux qui vous diront où vous devez aller pour vivre une expérience authentique, et ce bien que les établissements Airbnb évoluent de moins en moins dans ce registre, d’après mon expérience. La concurrence est donc rude mais cela ne nous a pas empêchés de voir un trou dans le marché. J’avais le sentiment qu’une offre énorme d’hôtels indépendants existait, surtout en Europe, et qu’un grand nombre de ces établissements adoraient être aux petits soins pour leurs clients. Par son positionnement sur ce marché, Utopian a l’ambition de soutenir ces hôtels au moyen de ses connaissances et de divers produits et services. Ces hôtels peuvent ainsi conserver leur position au sommet du marché et acquérir et conserver le label Utopian Ambassador. Notre force, c’est d’avoir pu créer, au départ d’une feuille blanche, un concept épousant le schéma d’attentes du jeune voyageur, en termes de marketing mais également de produit. C’est quelque chose qui nous permet de nous démarquer de nos concurrents.”

HB: Votre public-cible, ce sont les millennials (°1980-2000), dont beaucoup ont déjà des enfants. Comment composez-vous avec cet élément?
PC: “Certains de nos hôtels répondent parfaitement aux besoins de ce type de clientèle. Je pense au Puerto Romano Hotel de Marbella, qui dispose d’un kids club et offre un service personnalisé à l’attention des enfants, ou au Park Hotel à Vitznau (Suisse), auquel on penserait peut-être moins spontanément. Qu’y a-t-il de plus beau qu’un hôtel qui répond aux besoins des enfants et leur donne le sentiment d’être chez eux ? Le Park Hotel de Vitznau propose par exemple une chambre qui a véritablement été conçue pour les enfants, des couleurs aux jeux en passant par le type de lit, les peignoirs, les pantoufles et j’en passe. Si vous voulez convaincre des couples avec enfants de retourner à l’hôtel, montrez-vous persuasif vis-à-vis des enfants et les parents suivront le mouvement. Nos clients présentent cette particularité que tantôt ils voyagent sans enfants et cherchent surtout à bien manger ou à sortir le soir, tantôt ils emmènent leur progéniture avec eux et recherchent alors un tout autre type d’expérience.” 

Afrique du Nord, Moyen-Orient et Asie

HB: Utopian a établi son quartier général à Londres. Pourquoi avoir opté pour cette ville, en plein Brexit? 
PC: “Le choix de Londres avait été effectué avant le référendum sur le Brexit. Mon associé, qui est aujourd’hui CEO et directeur opérationnel d’Utopian, vit là-bas. Londres est une ville qui regorge de connaissances, surtout au sein du secteur hôtelier. Qui plus est, au départ de Londres, vous pouvez rallier facilement des destinations situées aux quatre coins du monde. Bref, le choix de Londres se justifiait pour de nombreuses raisons. J’habite quant à moi en Belgique. Je me rends à Londres au moins une fois par mois et suis par ailleurs en contact quotidien avec notre QG, par téléphone, téléconférence ou quelque autre technologie que ce soit. Notre development manager est tout le temps en voyage. Notre QG est un petit bureau partagé, mais avoir un pied à terre quelque part, cela reste utile ! Pour le reste, ce sont les visites d’hôtels qui accaparent l’essentiel de notre temps. Avec les espaces de coworking, les hôtels et tout le reste, cela fait assez de lieux de réunion potentiels, non ?”

HB: Comment voyez-vous l’évolution d’Utopian d’un point de vue géographique?
PC: “Notre priorité, c’est de continuer de nous développer en Europe. L’étape suivante, à laquelle nous travaillons déjà, consistera à étendre notre réseau en Afrique du Nord, au Moyen-Orient et en Asie. En Afrique du Nord, nous comptons déjà l’hôtel La Maison Bleue à El Gouna (Egypte) comme membre alors qu’au Moyen-Orient, Le Gray Hotel à Beyrouth a déjà signé avec nous, même si cela n’apparaît pas encore sur notre site web. Vous le voyez, nous travaillons déjà d’arrache-pied à étendre notre réseau à ces régions du globe, et ce même si l’Europe est et reste notre principal marché. Le Vieux Continent recèle encore énormément d’opportunités mais notre objectif pour les années à venir est de nous étendre à l’échelle planétaire.” 

Auteur: Daniel Steevens – photos: Utopian Hotel Collection et Daniel Steevens

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